Cuisse, mollet, ischio-jambiers, aine, hanche, cheville, ligament croisé antérieur du genou… Si l’OL et le Bayern Munich sont ses deux seuls maillots depuis ses débuts professionnels en 2013, un autre « club » a beaucoup abrité Corentin Tolisso: l’infirmerie, fréquentée plus de 850 jours et 130 matchs au total. Et s’il savoure en silence, comme ses proches, ce retour à très haut niveau avec « son » club, d’autres parlent pour lui. Avec une reconnaissance dans sa résilience, jamais démentie. Et l’équipe de France en ligne de mire?
24 blessures recensées, 261 jours sans compétition avec l’OL (pour 27 matchs) et même 599 journées écarté des terrains avec le Bayern Munich (92 matchs): à eux-seuls, ces chiffres dessinent l’ampleur des galères vécues, durant sa carrière, par Corentin Tolisso, le natif de l’Arbresle (au nord de Lyon) arrivé au centre de formation en 2007 à l’âge de 13 ans avec comme point d’orgue (et de départ d’une foule de « rechutes ») une rupture du ligament croisé antérieur du genou en septembre 2018, alors que le tout récent champion du monde rayonne avec la formation bavaroise.
C’est donc le corps meurtri qu’il revient à Lyon au printemps 2022: « Cette fragilité n’a pas été un obstacle, mais une opportunité de le voir porter de nouveau le maillot de l’OL », se souvient Bruno Cheyrou, alors directeur sportif lyonnais, qui a l’idée, avec Jean-Michel Aulas son président, de faire revenir des anciens pour repartir avec l’ADN du territoire. « Après avoir convaincu Alexandre Lacazette, nous sommes allés le voir chez lui, en discrétion alors qu’il avait fini son contrat avec le Bayern. Je lui présente le projet sportif, lui à la base du milieu en lui expliquant que nous allions être patient avec lui. La preuve, nous lui proposons un contrat de cinq ans. » Sinon, c’était 20-25 millions qu’il aurait fallu débourser: « Et d’autres clubs que l’OL aurait été sur les rangs et nous n’aurions pas pu atteindre ce rêve fou de ramener un champion du monde à la maison », coupe l’actuel consultant de Canal+.
Mais cet « atout » financier n’efface pas les faiblesses musculaires. Les « bobos » reviennent, pas longtemps certes à chaque éloignement du vestiaire, mais la répétition le fait douter. Et même craquer: « J’ai le souvenir d’un match où il se blesse à Rennes, il sort en larmes et reste toute la fin du match, prostré dans le vestiaire », rembobine Bruno Cheyrou.
Mais peu à peu, les pépins s’estompent: la litanie des soucis s’amenuise, quatre dans la saison 2022-2023, trois en 2023-2024, avec à chaque fois, moins de jours d’absences (60 puis 40). Et zéro pour la saison 2024-2025. Un chiffre rond qui rend chambreur l’un de ses premiers soutiens en interne, Rayan Cherki: « Je pense qu’il revient très fort grâce au … gainage. » C’est son secret? « Oui, il fait beaucoup de gainage. Tous les matins, il fait énormément de gainage. Non, plus sérieusement, je pense qu’il est vraiment dans une très belle forme et j’espère qu’il va rester comme ça jusqu’à la fin de la saison, parce que quand il a un tel niveau, il aide tellement l’équipe qu’on ne peut pratiquement pas se passer de lui. Et j’espère vraiment qu’il va rester à ce niveau-là. »
Travail personnel avec un staff médical pondérateur
Pierre Sage, son entraîneur depuis un an, est catégorique à son sujet: « Pour moi, le joueur est 100% responsable de ce qu’il choisit de faire et donc tout le mérite lui en revient. » Travail invisible plus poussé, séances (que l’on dit acharnées) en salle pour éviter les blessures… « C’est un joueur qui a pour habitude de beaucoup travailler et de ne pas se reposer sur ce qui a bien été fait », ajoute son entraineur. « Il va chercher les choses. Cette année, il avait affiché son ambition en interne, il l’a démontré. Aujourd’hui, il confirme de match en match parce que c’est bien d’être bon trois fois, c’est bien d’être bon dix fois, mais lui, depuis le début de saison, il est bon. »
Car Corentin Tolisso revient de loin. Quand il signe son contrat et lors de sa présentation à la presse le 1er juillet 2022, son visage est lumineux. Et pas uniquement parce qu’il revient à « la maison ». Il se sent surtout soulagé car « la visite médicale s’est bien passée », lâche-t-il dans ses premiers mots. Preuve, en creux, que c’est dans la tête aussi que cela se passe.
Cette tête qu’il doit « dompter » avec l’apport d’une sophrologue qui « m’a beaucoup aidé », révèle-t-il dans l’un des rares entretiens individuels – un exercice qu’il n’affectionne pas alors qu’il se tient toujours disponible pour les interviews d’avant et d’après-rencontre – qu’il consent l’année dernière au diffuseur BeIn. Il en dira un peu plus lors d’un point presse: « Pendant ma dernière année au Bayern, j’avais beaucoup de stress de ne pas savoir ce que j’allais faire l’année d’après. J’ai mal géré cela. Et cette personne, plus l’entourage au club, m’ont dit de ne pas trop me prendre la tête. »
Parmi les techniciens qui l’ont côtoyé, certains notent justement cette dissonance entre ses désirs (aider son club) et la réalité (physique): « Laurent Blanc lui disait: ‘fais ce que tu sais faire. Juste l’essentiel. La base et ton jeu reviendra’. » Les échanges sur le « lâcher prise » se multiplient. « Le staff médical y est pour beaucoup », détaille un membre du staff actuel. « Lors des premiers mois, son corps n’avait pas la capacité d’accepter la charge de travail car il ne le laissait pas tranquille. Le doc’ a dû lui faire passer des messages de patience. Car ‘Coco’, c’est un homme pressé, il aime se dépenser, sur le terrain, s’entraîner, s’amuser… »
Outre des analyses sur le déséquilibre de son corps pour mieux affiner les exercices de réathlétisation, le club l’a beaucoup aidé dans une prise de conscience: « Le doc’ a eu un rôle de pondération énorme, très juste dans l’analyse, dans les mots et une forme de persuasion », explique-t-on de l’intérieur. Il fallait lui faire retrouver le plaisir de jouer sans appréhension. Il a fallu lui faire accepter de prendre le temps des soins pour s’entraîner, peut-être avec une semaine de délai supplémentaire, mais à 100 % de ses possibilités. »
Digestion du retour
Beaucoup de personnes contactées, et amenées à dessiner les raisons de la renaissance du Phénix lyonnais, se rejoignent sur son côté émotionnel. L’un des membres du staff, par exemple le constate: « Il a peut-être sous-estimé la portée d’un retour chez lui, dans un club qui, en cinq ans, avait déjà beaucoup changé. Et qui vivra aussi une révolution de palais à peine sa première année terminée, quand Jean-Michel Aulas est débarqué en mai 2023 par John Textor. Il a sous-estimé l’attente qu’il suscitait dans un contexte finalement pas si réjouissant. »
Le temps a fait son œuvre aussi: les 30 mois depuis cette signature du 1er juillet 2022 lui ont appris la patience. Et une autre forme de résilience, après celle qui l’avait fait revivre un match de Bundesliga en mai 2019, 252 jours après cet après-midi de blessure, le 15 septembre 2018, où il marque son premier but avec son club pour sa première titularisation post-Coupe du monde, deux mois tout juste après le sacre à Moscou. Bruno Cheyrou abonde: « Cela a pris plus de temps que prévu car il avait trop le désir de tout faire bien, à la perfection. Je ne pensais pas que ce serait quelqu’un qui surréagirait autant, qu’il serait autant dans l’émotion pour quelqu’un passé par le Bayern Munich et champion du monde. Maintenant, il est redevenu le joueur complet: défensif, buteur, passeur court, passeur long, batailleur… Et là, je constate aussi qu’il a évolué, et digéré tout cela, c’est quand il marque: avant, il avait une joie excessive. A Qarabag, j’ai vu qu’il cache mieux ses émotions, tout en savourant. Il a passé un cap émotionnel certain. »
La stabilité (enfin) du staff
Peter Bosz (jusqu’au 9 octobre 2022), Laurent Blanc (jusqu’au 5 septembre 2023), puis les intermèdes du staff de Jean-François Vulliez avec Sonny Anderson et Jérémie Bréchet, avant le passage éclair de Fabio Grosso (octobre-novembre 2023). Et enfin Pierre Sage, installé sur le banc depuis 12 mois. « Ne vas pas chercher plus loin dans les raisons de ce retour, répond un proche du groupe. ‘Coco’ aime la stabilité. Elle a toujours du bon pour se repérer dans les séances, les exercices, le quotidien. Ce fut précieux. Un ‘mec’ sain comme lui a besoin de cela. »
Corentin Tolisso profite enfin de cet alignement de planètes: « Nous sommes tellement heureux de le retrouver dans ces dispositions », disent en chœur tous ceux qui ont côtoyé ses deux époques lyonnaises (2013-2017 puis 2022 à aujourd’hui). Dans leurs dires, il les ‘kiffe’: « Il adore le foot, un peu à l’ancienne, comme on aime… »
Pierre Sage va dans le même sens: « C’est l’enchaînement des performances qui agit à la fois sur la qualité de ce qu’il fait, sa confiance, les initiatives qu’il va prendre. Vous avez vu, il marque un but extraordinaire à Qarabag et bizarrement, dans le match suivant, il retente une frappe de loin qui est à deux doigts de faire mouche. C’est bien, ça lui donne une arme supplémentaire et ça donne une arme supplémentaire à l’équipe. »
Son très haut niveau retrouvé, il redevient inspirant: « Déjà, il a une très belle expérience, donc sur ça, on est obligé d’être attentif et de l’écouter quand il nous donne des conseils. Après, j’en fais pas mal aussi. Non, il m’apporte beaucoup de choses, il me parle beaucoup sur le terrain, il essaie de bien me cadrer, entre guillemets, défensivement, parce qu’on sait qu’aujourd’hui, sa qualité première, c’est vraiment de nous récupérer des ballons, nous alléger quand on a besoin de lui. Il m’apporte vraiment ce petit truc en plus où on parle beaucoup, on échange beaucoup. C’est un ami, comme tous les autres que je n’ai pas besoin de vous citer, mais c’est sur ça qu’il apporte, pas qu’à moi d’ailleurs, il apporte vraiment sa petite patte d’expérience, sa patte d’envie de toujours être le meilleur, de toujours avoir envie de bien s’entraîner. Je pense que c’est ça qu’il apporte aujourd’hui. »
Un retour en Bleu possible? Et avec le niveau du Mondial 2018?
Témoin de longue date de son évolution, un employé du club peut légitimement comparer: « Entre le Corentin 1 et le Corentin 2, il a plus d’expérience. Je l’ai connu ‘gamin’, mais c’est un homme désormais, avec de l’expérience et quelle résilience qui force le respect. » Il se souvient de ce jour où, jeune, pas forcément le meilleur à l’Académie, Rémi Garde le fait ‘monter’ dans le groupe professionnel et pour « faire le nombre ». Le fait qu’il ait grandi dans le même territoire, entre Tarare et l’Arbresle (la commune de naissance d’un certain… Jean-Michel Aulas) n’est pas étranger à cette promotion, rapporte la légende urbaine de Tola Vologe, à l’époque lieu d’entraînement et du centre de formation, juste à côté de Gerland: « Aujourd’hui, c’est une version largement améliorée qui garde sa fougue d’avant matinée du recul et de l’expérience », décrit encore le même connaisseur.
Mais à quand remonte le déclic? « La fin d’année dernière », juge plusieurs connaisseurs du ‘bonhomme’. Il réussit (déjà) à enchaîner les matchs, après son ultime pépin (et court, 19 jours et trois matchs manqués) en février puis voit l’arrivée de Nemanja Matic. Bruno Cheyrou apprécie: « La responsabilité de la tenue du milieu est désormais partagée et, par son charisme, le Serbe le libère, il le calme. Juste par un regard, il lui envoie de la sérénité. Maintenant, il est redevenu le joueur complet: défensif, buteur, passeur court, passeur long, batailleur… »
Désormais, « le compétiteur peut s’exprimer », se rejoignent plusieurs proches. Les statistiques disent tout de cette nouvelle ère: s’il avait déjà été rayonnant lors des oppositions de préparation de l’été, il avait bizarrement disparu dans les premières compositions d’équipe de Pierre Sage, pour être mieux réintégré lors du troisième match. Hasard ou coïncidence, l’OL perd les deux premiers (Rennes 3-0 et Monaco 0-2) avant de gagner celui de Strasbourg (où il marque). Au total depuis, en 18 épisodes (12 en Ligue 1 – dont 10 comme titulaire – et six – quatre en titulaire – en Ligue Europa), il ne fait que monter en puissance. Pierre Sage en fait sa pierre angulaire au milieu désormais: « Je pense que ce genre de cercle vertueux va le ramener vers son plus haut potentiel, voire continue à le développer. Je pense qu’il a encore de belles heures devant lui, des heures très proches et peut-être des heures lointaines. »
Et l’équipe de France, dont il a porté le maillot pour la 28e et dernière fois (deux buts) le 23 juin 2021, lors de l’Euro 2020, face au Portugal (2-2) dans tout cela? « Je pense qu’il postule », vote Pierre Sage. « Aujourd’hui, il y a d’autres joueurs qui sont appelés et qui ont fait partie des sélections précédentes, mais si on regarde un petit peu plus loin dans le rétroviseur, lui aussi était dans ces effectifs-là. Je pense que s’il continue à un moment ou l’autre, l’opportunité viendra. »
Un match majuscule au Parc des Princes face au PSG, dans la foulée d’une partition une nouvelle fois maitrisée face à Francfort jeudi soir, pourrait semer une nouvelle pierre sur le chemin d’un retour dans la liste de Didier Deschamps. Et faire le bonheur, notamment de Vincent, le papa attentionné, silencieux lui aussi quand il s’agit du retour au premier plan de son Phénix de fils. Tout juste consent-il à avouer: « Si ‘Coco’ revient à ce niveau-là, c’est surtout grâce à son mental, son travail et sa persévérance de ne jamais abandonner, car les moments furent très compliqués. »