À seulement 26 ans, Alexandre Lafitte a réussi l’exploit de qualifier son club du Stade d’Abidjan en Ligue des champions africaine. Deuxième de Ligue 1 ivoirienne en 2024, derrière le FC San Pedro, le premier vainqueur ivoirien de la Ligue des Champions en 1966 retrouve enfin la scène continentale, après plus de cinquante ans d’absence. Lafitte, plus jeune entraîneur français de première division au monde, va continuer à grandir avec le club d’Abidjan, avant de tenter l’aventure européenne.
Alexandre Lafitte, vous êtes arrivé en janvier 2023. À l’époque le Stade d’Abidjan est fraîchement promu en Ligue 1 et est relégable. Seize mois plus tard, vous êtes vice-champion de Côte d’Ivoire et donc qualifié en Ligue des Champions. C’est incroyable ?
J’ai dit en début de saison que si on était dans le top 4, ce serait déjà très bien. Le vrai objectif était de faire mieux que la saison précédente (8e). Oui, c’est un exploit. Quand j’arrive, on est relégable, et on parvient à être 5e sur les matchs retour la saison dernière. Après, on part sur un cycle de deux ans, avec comme objectif de chercher une compétition africaine la deuxième année. En première partie de saison, on est 9e, avec beaucoup de matches nuls. Ce n’est pas stratosphérique. Avec la CAN, on a joué sur deux mois et demi, c’était très dense. Et on perd au mercato d’hiver trois titulaires, dont le capitaine, Eroine Agnikoi, vendu en Belgique à Zulte-Waregem. On ne les remplace pas en termes de qualité. Mais derrière, on fait une seconde partie de saison exceptionnelle. On est premiers sur les 20 derniers matchs.
Avec à la clé une qualification historique en Ligue des champions africaine. Mais il vous faudra passer par des tours préliminaires…
Ce qu’il faut comprendre, c’est qu’en Afrique, tout le monde fait les deux tours préliminaires. Si tu as de la réussite, avec un bon tirage, les poules sont accessibles. Mais tu peux tomber d’entrée contre Al-Ahly (Egypte), et eux, ils jouaient contre Manchester City en Coupe du monde des clubs il n’y a pas si longtemps. C’est la particularité de l’Afrique. Pour revenir à notre championnat, ce qui est fort, c’est qu’on termine devant l’ASEC Mimosas, qui était en quart de finale de la Ligue des champions cette saison. Le niveau du football local s’est élevé après la CAN. C’est génial.
Comment ont réagi les dirigeants du Stade d’Abidjan?
Le boss est très excité, mais il dit dans les médias: « Je vous avais dit qu’en remontant de Ligue 2, on ne ferait pas de la figuration (rires) » Mais personne n’y croyait. En janvier, le président nous parlait de maintien, alors qu’on savait qu’on valait mieux que ça. Mais c’est une vraie surprise.
C’est un parcours à la Brestoise, non?
C’est un peu ça. Il y a eu deux moments très importants. Quand le Racing d’Abidjan était premier début mars, on va les battre (2-0) dans le grand stade (Le Felicia, stade utilisé pour la CAN 2024). Ça nous a donné une confiance gigantesque. C’était une quatrième victoire d’affilée et on se dit: on peut battre tout le monde. Sans oublier notre victoire fin avril, encore une fois chez le leader, mais cette fois San Pedro. Je me dis: ok, là on peut aller chercher la Ligue des champions.
Après avoir perdu trois de vos leaders au mercato d’hiver, quels joueurs vous ont permis de tenir la baraque?
On peut parler de Sylvain Gbohouo, évidemment, qui, dans sa carrière, a déjà été le capitaine de l’équipe nationale de Côte d’Ivoire. Il nous a permis d’être la deuxième meilleure défense. Après, je me suis appuyé sur Bancé Ibrahim, un international burkinabé qui revient de loin. Jeune, il était à l’ASEC puis a été vendu en Suède. Son club l’a prêté en D2 aux Etats-Unis. Il a passé un an sans jouer. Bancé est encore jeune, je pense qu’il peut encore croire à un destin en Europe.
Vous pensiez revenir en Europe cet été, mais cet exploit vous pousse finalement à rester en Afrique. Racontez-nous…
Actuellement, les pistes envisageables étaient en D2 en Belgique, au Portugal, voire dans l’un des clubs luxembourgeois qualifiés en tours préliminaires de Coupe d’Europe. Mais la Ligue des Champions, ça me permettra de progresser encore, car on peut se frotter à du très lourd. Ça me teste sur la scène continentale. C’est un bon moyen de valider le BEPF en VAE (la validation des acquis de l’expérience), comme Pierre Sage de Lyon par exemple. J’aimerais le passer l’année prochaine, c’est le seul moyen au vu de mon parcours et de mon âge. Pour le moment, je ne peux même pas officiellement entraîner en Ligue des champions africaine. Mais mon adjoint a le diplôme, et sur la feuille de match, ici, on peut s’arranger.
Quelques mois après le sacre de la Côte d’Ivoire à la CAN 2024, le foot local a-t-il pu tirer des bénéfices de ce titre?
Au niveau du nombre de supporters dans les stades, on ne va pas se mentir, ça n’a rien changé. Par contre, les installations sont meilleures. La saison prochaine, on pourra utiliser tous les stades de la CAN, même les stades annexes pour s’entraîner quand on se déplace dans le pays. C’est positif. Les moyens sont mis aussi sur les arbitres avec dix quatuors arbitraux qui seront professionnels. L’arbitrage, c’est le plus gros problème en Côte d’Ivoire aujourd’hui. Depuis que je suis arrivé, j’ai la sensation que ca progresse bien. La CAN a été une bonne chose, tout va mieux financièrement. Il faut continuer dans cette voie.